Technical Report NTB 05-01

Grimsel Test SiteInvestigation Phase VHPF-Experiment:Modelling Report

Le ciment est l’un des composants principaux de la barrière ouvragée destinée au confinement des déchets dans les sites de stockage pour déchets de faible et de moyenne activité. L’interaction entre les solutions hyperalcalines provenant de la dégradation du ciment et la roche hôte peut affecter les propriétés physiques et chimiques de cette dernière. La question est traitée dans le cadre du projet «panache hyperalcalin en roche fracturée» (Hyperalkaline Plume in Fractured Rock, HPF) et ce, dans le contexte d’une roche hôte cristalline fracturée.
 

Le granite (ou granodiorite) du Grimsel est caractérisé par la présence de zones de cisaillement (Bossart & Mazurek 1991), dont l’épaisseur peut atteindre plusieurs mètres, voire plusieurs dizaines de mètres. Ces zones de cisaillement comprennent des bandes mylonitiques fortement déformées de plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur. Des fractures cassantes se dévelop­pèrent lors d’étapes de déformation ultérieures, en particulier dans ces bandes mylonitiques. Ces fractures de la taille du millimètre sont, au moins partiellement, remplies d’une très poreuse gouge de faille.
 

Le projet HPF, soutenu par l’ANDRA (France), JNC (Japon), NAGRA (Suisse), SLB (Suède) et DOE (USA), comprend une expérimentation de terrain souterraine (injection d’une solution hyperalcaline dans un agencement de dipôles, expériences de traçage), d’expérimentations en laboratoire à petite échelle et de caractérisation minéralogique. Pour comprendre les interactions entre solution hyperalcaline et zone de cisaillement au Laboratoire Souterrain du Grimsel, ces expérimentations ont été accompagnées de modélisation numérique.
 

Une série de calculs préliminaires ont d’abord permis d’estimer l’échelle spatiale et l’ampleur de l’altération minéralogique causée par l’injection de la solution hyperalcaline dans une fracture du Laboratoire Souterrain du Grimsel. Ces calculs ont par ailleurs servi à dimensionner l’expérimentation. Les simulations préliminaires couvrent une durée expérimentale de 1 à 3 ans. Toutes sont conçues sur la base d’un modèle de transport réactif à une dimension simulant l’interaction de la solution hyper­alcaline et les minéraux de la gouge de faille remplissant la fracture. La diffusion matricielle dans la roche adjacente a été considérée dans une seule de ces simulations. Les deux conclusions prin­cipales de la série de calculs préliminaires sont: (1) pour atteindre une quantité significative d’alté­ration minérale, des débits relativement important sont nécessaires; (2) des minéraux secondaires seraient précipités en quantités significatives seulement si les surfaces réactives des minéraux pri­maires de la roche étaient pour le moins très proches des surfaces spécifiques mesurées par la méthode BET. Par ailleurs, des incertitudes sont apparues quant aux possibles assemblages minéralogiques des précipités secondaires et quant à leurs taux cinétiques de formation.

Une fois les expérimentations lancées, les simulations de transport réactif à une dimension ont servi à reproduire les courbes de percée mesurées à petite échelle en laboratoire (injection d’une solution à pH élevé dans un échantillon de roche fracturé). Une observation importante découlant de l’expérience est que l’interaction entre solution hyperalcaline et zone fracturée, telle qu’étudiée sur l’échantillon de gra­nite du Grimsel, conduit à une diminution significative de la conductivité hydraulique, bien que l’étendue des altérations minérales soit faible. Les résultats des simulations confirment, en outre, que la dissolution des minéraux primaires est contrôlée par la cinétique. Dans les deux approches de modé­lisation (GIMRT et 3FLO), les constantes cinétiques des minéraux primaires proviennent de résultats publiés, tandis que des constantes plus élevées ont été utilisées pour les minéraux secondaires (ce qui revient à simuler des conditions proches de l’équilibre dans le cas des phases minérales secondaires). Pour obtenir un bon accord entre modèle et résultats expérimentaux, des surfaces spé­cifiques de l’ordre de 105 m2/m3 de roche étaient nécessaires pour les deux approches, GIMRT et 3FLO. Ces valeurs sont largement inférieures à celles mesurées sur la gouge de faille remplissant la fracture, de l’ordre de 106 – 107 m2/m3 de roche. Les simulations ont pu être ajustées aux observations par la prise en compte, dans le modèle, d’une fraction de grains de petite taille; celle-ci permet en particulier d’expliquer les pics initiaux des concentrations de Al et Si. De plus, en incluant cette fraction de grains fins, les surfaces spécifiques initiales des modélisations étaient conformes à l’échelle de surfaces spécifiques mesurées dans la gouge de faille.
 

Les tests de traçage au Laboratoire Souterrain du Grimsel ont été interprétés en supposant une répar­tition soit (a) homogène, soit (b) hétérogène de la conductivité hydraulique dans la zone de cisail­lement.
 

a)  Bien que cette approche soit construite sur un modèle très simple (propriétés hydrauliques isotropiques identiques pour toutes les configurations de dipôle), elle permet de bien reproduire l’arrivée du pic et la forme de la courbe de percée. Il semble que le relâchement progressif de traceur à partir de l’intervalle d’injection induise un effet de retard («tailing») impor­tant, probablement dû à la diffusion de traceur provenant, soit de zones de stagnation dans la roche adjacente, soit de l’équipement. Les simulations ont surestimé de manière systématique les concentrations de traceurs dans l’écoulement pour toutes les configurations de dipôles, comme si la quantité de traceur réellement injecté avait été inférieure d’un facteur 3 à 5. Il est difficile d’expliquer ce comportement en augmentant la complexité des champs d’écoulement dans le plan de la zone de cisaillement ou en utilisant d’autres conditions limites. Il a finalement été supposé que ces pertes inattendues avaient été causées par l’injection de traceur dans des intervalles autres que ceux prévus par l’expérience; cet effet n’a cependant pas été confirmé par un pH élevé dans un autre intervalle.
 

b)  Les expériences de dipôles ont été interprétées grâce à différents modèles intégrant les phéno­mènes de transport et la migration de radionucléides en zone de cisaillement altérée par un fluide à pH élevé. L’ajustement des paramètres a pu être réalisé pour un modèle de matrice rocheuse à multiples fractures, ainsi que pour un modèle deux dimensions en milieu hétéro­gène, sans qu’il soit possible d’opter de manière définitive pour l’un des deux modèles. Toutefois la géométrie du champ d’écoulement entre dipôles, la dissimilitude des courbes de percées mesurées sur des expériences de différentes géométries, de même que la dispersion latérale du panache à pH élevé, privilégient le modèle hétérogène en milieu poreux. Par l’application combinée d’une distribution de porosité hétérogène et d’une équation empirique selon Kozény-Carman qui associe la porosité à la conductivité hydrau­lique, il a été possible de cal­culer un champ d’écoulement hétérogène dans la zone de cisaillement. Le champ d’écou­lement ainsi calculé a servi à prédire l’interaction entre fluide hyperalcalin et zone de cisaillement. Ces simulations ont également servi à prédire la dissémination des traceurs Cs, Co et Eu dans la zone de cisaillement altérée par les effets de pH élevé. Il en découle que les percées de Cs, Co et Eu calculées et la distribution des concentrations dépendent des hypo­thèses concernant leur comportement de sorption. Enfin, la diminution de la conductivité hydrau­lique observée tant sur le terrain que dans les expériences d’infiltration à petite échelle, d’une part, et les changements du champ d’écou­lement qui en résultent et conduisent à l’altération des minéraux, d’autre part, influeront de manière importante sur la migration des radionucléides.
 

L’évolution géochimique du système a par ailleurs été simulée par un modèle de transport réactif à deux dimensions. Des simulations préliminaires avec GIMRT et une première compa­raison avec des observations expérimentales montrent un retard important des percées de Na et K par rapport à celles du modèle. Ces différences sont en partie dues au changement du champ d’écoulement au cours de l’exp­érience et vraisemblablement aussi à la sorption chimique de Na et K. De plus, le fait qu’en condition stationnaire les concentrations au point d’extraction soient identiques à celle injectées indique un effet de «channeling»; celui-ci empêche le mélange graduel de la solution injectée et de l’eau souterraine environnante. Ces résultats montrent, en outre, que la précipitation des minéraux secondaires dans la zone de cisaillement est vraisembla­blement mineure et, par conséquent, difficile à détecter. Les simulations avec 3FLO suggèrent les conclusions suivantes:

  • Les concentrations d’écoulement de Na et K peuvent être correctement reproduites si on ajoute un terme de sorption. Sinon, le modèle initial d’écoulement et de transfert produit des résultats conformes aux observations.
     
  • A un stade ultérieur de l’expérience, les concentrations de Na et K correspondent raisonna­blement bien aux observations expérimentales, bien que la forme des courbes de percée ne soit pas identique.
     
  • L’évolution globale des concentrations d’écoulement de Ca, Al et Si est bien simulée, mais non les valeurs exactes.
     
  • Les courbes de percée du pH sont bien reproduites au niveau des forages d’observation, tant du point de vue de l’évolution que de celui des valeurs. Aux forages les plus éloignés de l’injection (99-008 et 98.004), l’arrivée fut légèrement plus rapide que prévue.
     
  • L’augmentation de la pression d’injection a bien été reproduite, mais les valeurs simulées sont trop élevées, comme si la diminution de la perméabilité occasionnée par les précipités avait était surestimée.
     
  • Il n’a pas été possible de reproduire les courbes de percées correspondant aux tests de dipôle menés sous condition de pH élevé. Le modèle ne prédit pas la formation concomitante de chemi­ne­ments préférentiels qui permettrait de reproduire correctement les résultats.

De manière générale, les conclusions principales résultant des simulations et des expérimen­tations peuvent être résumées de manière suivante:

  • L’injection de solution à pH élevé modifie la conductivité hydraulique dans le champ d’écou­lement, altérant significativement les temps de passage du traceur et même la géométrie du champ d’écoulement. Dans un stade avancé, les résultats de l’expérience de terrain révèlent un effet de «channeling» qui empêche le mélange de la solution à pH élevé et de l’eau souterraine du Grimsel.
     
  • Le granite du Grimsel ne tamponne que légèrement le panache hyperalcalin, ce qui montre que la des­crip­tion des transformations minérales par une formulation cinétique est appropriée.
     
  • Il semble que la zone fracturée soit suffisamment hétérogène et accidentelle pour qu’il soit peu pro­bable que des résultats d’autres tests puissent être interprétés de manière détermi­niste. Toute­fois, vu la nature stochastique de la conductivité hydraulique, de la porosité et de la répartition des minéraux, on peut supposer qu’il est possible d’appréhender le compor­tement moyen ou global  du système.

Le retard des cations majeurs (de même que celui des radionucléides tels que le Cs, un cation sorbé selon un mécanisme d’échange ionique) ne peut être simulé correctement que par un modèle plus sophistiqué et détaillé d’échange ionique et / ou de complexation de surface.