Technical Report NTB 93-01

Ce rapport présente les résultats du programme régional d'investigations géologiques que la Société coopérative nationale pour l'entreposage de déchets radioactifs (Cédra) a réalisé dans le nord de la Suisse en vue d'examiner l'aptitude du socle cristallin à abriter un dépôt final pour déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Ce programme qui s'est étendu de 1981 à 1993 comprenait:

• un programme d'exploration comptant sept forages profonds de 1306 à 2482 m, à savoir 5900 m dans le cristallin et 6400 m dans les couches sédimentaires susjacentes, presqu'entièrement carottés et incluant un programme substantiel de diagraphies (Iogging), d'essais avec obturateurs (packer) et de prélèvements d'échantillons d'eau,
• des investigations géophysiques (400 km de sismique réflexion et 230 km de sismique réfraction, gravimétrie, géomagnétique aérienne),
• l'observation à long terme de l'évolution de la pression des eaux souterraines profondes,
• la modélisation hydrogéologique, des investigations hydrochimiques,
• une cartographie géologique et une compilation de cartes géologiques,
• des études géologiques d'affleurements du socle cristallin dans la partie méridionale de la Forêt Noire (Allemagne),
• des investigations néotectoniques (implantation de sept stations de mesures sismiques pour l'enregistrement des microséismes, mesures géodésiques, études géomorphologiques, mesures de tensions).

Les résultats des investigations ont été analysés en détail. Ils ont été publiés dans plus de 100 rapports techniques de la Cédra. Le présent rapport fait la synthèse de ces travaux.

La situation géologique dans la partie centrale du nord de la Suisse est le résultat de l'évolution géologique que l'on peut suivre sur plus de 400 millions d'années. Les événements les plus déterminants se situent au Paléozoïque et au Tertiaire. L'orogenèse varisque a laissé une profonde marque structurelle et métamorphique/ hydrothermale dans le socle cristallin, accompagnée d'activités plutoniques et volcaniques. Depuis lors le socle n'a plus été modifié de façon importante sur les plans lithologique et structurel. Le fossé permo-carbonifère du nord de la Suisse s'est développé durant la phase tardive de l'orogenèse varisque jusqu'à il y a environ 245 millions d'années. Après une période de 200 millions d'années relativement calme sur le plan tectonique, la région a subi un réaménagement au Tertiaire, à savoir la formation du fossé rhénan supérieur, le soulèvement de la Forêt Noire et le développement du Jura plissé.

La situation tectonique et structurelle du socle cristallin ne peut être cartographiée en raison de sa couverture sédimentaire, et elle ne peut être appréhendée que de façon incomplète avec les techniques d'exploration disponibles à ce jour. Une caractérisation déterministe n'est par conséquent pas possible. Il a fallu pour cette raison élaborer un modèle schématique des failles importantes, sur la base d'indications de surface relevées dans la partie méridionale de la Forêt Noire voisine, ainsi que d'informations tirées de forages et d'investigations sismiques dans le nord de la Suisse. Le modèle a servi de base pour l'établissement d'un modèle hydrogéologique local et pour l'étude des possibilités d'exploration.

Par l'analyse détaillée des carottes de forage dans les zones d'arrivées d'eau, la circulation des eaux dans le cristallin peut être attribuée aux discontinuités structurelles et lithologiques (systèmes de circulation d'eau) suivantes:

• zones cataclastiques
• zones fissurées avec fissures ouvertes
• aplites et gneiss aplitiques déformés de manière cassante.

Les zones de failles présentant d'importantes circulations d'eau peuvent être considérées comme des accumulations locales de zones cataclastiques accompagnées de fissures ouvertes. En raison des transformations hydrothermales pénétratives du cristallin, la roche présente de façon générale, dans les environs immédiats des systèmes de circulation d'eau, une microporosité plus élevée ainsi que des minéraux argileux d'origine hydrothermale, constituant ainsi une situation favorable pour la rétention de radionucléides.

Du point de vue hydrogéologique, le cristallin peut être subdivisé en une zone supérieure plus perméable, épaisse de plusieurs centaines de mètres, d'une conductivité hydraulique moyenne de l'ordre de K = 1 E-7 m/s, et en une zone inférieure, moins perméable avec K < 1 E-10 m/s. Des failles subverticales, présentant d'importantes circulations d'eau, traversent ces deux unités hydrogéologiques superposées. Le profond fossé permo-carbonifère du nord de la Suisse constitue une barrière hydraulique séparant les eaux souterraines du cristallin du Plateau suisse, qui se sont probablement infiltrées dans les Alpes, des eaux souterraines du cristallin situé au nord du fossé permo-carbonifère, qui se sont infiltrées dans la partie méridionale de la Forêt Noire et dont le Rhin constitue l'exutoire.

Les eaux souterraines du cristallin peuvent être subdivisées en quatre groupes sur la base de leur composition chimique et isotopique: eaux souterraines bicarbonatées calciques, peu minéralisées (minéralisation < 0.2 g/I) dans la Forêt Noire, eaux souterraines bicarbonatées sodiques et sulfatées (minéralisation vers 0.5 g/I) dans la région du forage de Siblingen, infiltrées lors d'une période de climat froid (il y a 10'000 ans au moins), eaux souterraines sulfatées sodiques (minéralisation 0.9 -1.4 g/I) dans la région de Zurzach-Leuggern-Böttstein-Kaisten, infiltrées avant la dernière période glaciaire (il y a 70'000 ans au moins) ainsi que des eaux très minéralisées, vraisemblablement en partie des eaux souterraines salines très anciennes, dans les zones peu perméables du cristallin (Böttstein, Leuggern, Weiach) ou à proximité du fossé permo-carbonifère (Säckingen, Schafisheim). Les eaux souterraines peu minéralisées, ainsi qu'une partie des eaux souterraines salines, montrent une évolution chimique à l'intérieur du cristallin (Weiach, Leuggern), alors que les autres eaux salines contiennent une composante d'origine sédimentaire (Schafisheim, Säckingen, év. Böttstein). De façon générale, la situation hydrochimique offre une image cohérente avec le champ de circulation régional des eaux souterraines dans le cristallin déduit des modèles hydrogéologiques.

L'évolution géologique et climatique à long terme du nord de la Suisse est discutée sur la base de différents scénarios possibles. Leur élaboration se fonde d'une part sur les connaissances relatives à l'histoire tectonique de la région et d'autre part sur des informations néotectoniques. On table sur une continuation du soulèvement de la partie méridionale de la Forêt Noire (dôme). Il s'en suit un déplacement du cours du Rhin vers le sud, localement jusqu'à 2 km en un million d'années. On évalue la profondeur de l'érosion du Rhin résultant de ce soulèvement à 200 m au maximum dans la région de Koblenz. Des mouvements différentiels de 100 m au maximum par million d'années sont pronostiqués le long de failles de premier ordre (par ex. la faille de Vorwald). Les mouvements le long de failles plus modestes (zones cataclastiques) devraient être limités à moins de 1 m durant le même laps de temps.

Les données géologiques pour la chaîne de modèles de l'analyse de sûreté ont été tirées des résultats du programme régional d'investigation, et sont présentées sous forme de modèles conceptuels comprenant une fourchette de paramètres et dont les incertitudes sont commentées. L'ensemble des informations comprend des données hydrogéologiques (flux d'eau à travers un dépôt final, distribution du flux entre les différents systèmes de circulation, potentiel de dilution des aquifères proches de la surface et des rivières), des modèles conceptuels des systèmes de circulation des eaux avec les données correspondantes relatives à leur géométrie, minéralogie et porosité, une estimation de la situation hydrochimique "in situ" (eaux de référence), des données concernant la concentration et la composition des colloïdes dans les eaux souterraines, ainsi que des paramètres géotechniques relatifs à la réalisation et la disposition du dépôt final.

Dans le cadre d'une étude d'explorabilité, un concept d'investigations a été élaboré. Ce concept doit permettre de localiser les zones de failles subverticales aquifères ainsi que l'extension de blocs cristallins peu perméables adéquats entre ces failles, qui sont tous deux déterminants pour l'implantation d'un dépôt final. En plus d'investigations par sismique réflexion, ce concept prévoit un forage vertical et quatre forages obliques, foncés à partir d'un même point, dans lesquels pourront être réalisés des tests hydrauliques ainsi que des tomographies par sismique entre les forages de même qu'entre forages et surface du sol. Des analyses statistiques ont montré que si le modèle des failles importantes du nord de la Suisse représente la situation réelle dans le socle cristallin, il existe de bonnes chances pour qu'à l'aide du concept mentionné ci­dessus on puisse trouver au moins un bloc d'extension adéquate afin d'accueillir une partie au moins d'un dépôt final. Lors d'une phase d'investigations ultérieure il faudra, le cas échéant, réaliser encore d'autres forages avant que l'on puisse entreprendre la caractérisation du cristallin en sous-sol à partir d'un puits et de galeries d'exploration.

La synthèse géologique a montré que le cristallin comporte des zones potentiellement adéquates à une profondeur acceptable dans deux régions du nord de la Suisse. Les possibilités de sites les plus prometteuses se situent à l'intérieur d'une bande large de quelques kilomètres au sud du Rhin (zone ouest: Kaisten-Leuggern-Böttstein). Une zone de sites potentiels de seconde priorité se trouve dans le canton de Schaffhouse (zone est: Siblingen). Cette dernière zone est moins bien caractérisée. Sur la base des résultats actuellement disponibles, il n'est pas recommandé d'y poursuivre d'autres investigations pour le moment. Considérant les conditions spécifiques du projet helvétique de stockage final de déchets de haute radioactivité, une campagne de sismique 3D dans la région de Böttstein-Leuggern et des forages inclinés selon le concept ci-dessus sur un des anciens sites de forage de Leuggern ou de Böttstein sont proposés lors d'une prochaine phase d'investigations. Ces forages ont en effet déjà permis d'identifier d'importants tronçons de cristallin peu perméable pouvant être considérés comme adéquat pour un dépôt final.